La chapelle du Précieux-Sang à Saint-Hyacinthe Rousseau disait de cette décoration, en 1887, dans sa circulaire qu'il s'agissait de l'entreprise la plus considérable de sa carrière. Affirmant cela, il n'avait pas encore prévu la réalisation de la décoration de l'église d'Arthabaska ou de celle de la chapelle de Saint-Césaire qui sont tout aussi importantes sinon davantage, d'après l'envergure du thème et le nombre de tableaux exécutés. De ces trois ensembles, celui du Précieux-Sang demeure sans doute celui qui a subi le plus de transformations. Aussi est-il difficile de juger de l'aspect primitif du décor, pour cela quelques photographies sont venues jusqu'à nous. Nous essaierons donc de discerner plus loin le projet initial de l'état actuel de la chapelle et des modifications qu'on y a apportées au fil des ans. La chapelle pendante à la maison des religieuses du Précieux-Sang, communauté fondée en 1861 à Saint-Hyacinthe, fut érigée en 1871 par l'abbé Lecours, alors curé de Notre-Dame à Saint-Hyacinthe. Des contributions et des dons furent alors demandés pour payer l'édifice. À l'été 1871, les travaux commencent. Un prêtre français, M. Charles de la Croix se charge, après le départ du curé Lecours nommé à Sainte-Rosalie, de poursuivre l'entreprise et de parfaire sommairement l'intérieur de l'église qui est enfin bénite en 1877. Neuf ans plus tard, l'abbé Lecours revient à Saint-Hyacinthe
pour s'installer définitivement au Monastère du Précieux-Sang
(en 1882). Rousseau, qui habite dans la petite ville de la rive-sud, est donc tout désigné pour satisfaire à la demande, (cette entreprise lui ayant été donnée le 30 mars 1886) d'autant plus que cinq des tantes de sa femme sont religieuses de la communauté: Marie-Luce, M.-Hermine, M. Restitute, Sophie et M. Tharsile Gendron. Cette parenté contribuant grandement au choix du peintre, sinon à la déterminer aussitôt. Les travaux débutent en mai(?) 1886 (…). La chapelle est dédiée au Précieux-Sang. Il semble cependant que Rousseau n'aurait pas exécuté seul le travail mais qu'une religieuse de la congrégation (des Sœurs du Précieux-Sang : Virginie Dion, dite Soeur Véronique-de-la-Passion) lui serait venue en aide et aurait même effectué de nombreuses toiles dans la chapelle. Comptons environ (16 tableaux sur 36) que contient l'enceinte. Mais laissons ici parler quelques journalistes donnant le détail des tableaux et leurs appréciations sur la chapelle. Le Courrier de Saint-Hyacinthe contient deux articles signés seulement par des initiales et qui parurent peu de temps après la consécration de la chapelle, (le 30 avril) 1888. « Il faut avouer aussi que la chapelle en elle-même méritait bien un peu cet honneur, puisqu'elle est sans contredit, la plus belle, en son genre au pays. Il n'y en a certainement pas d'autres d'aussi riche en décors romain byzantin. Les nombreux tableaux qui ornent cette chapelle ont déjà été appréciés et critiqués par des plumes plus exercées et plus compétentes que la mienne. (…), L'Amour de la Croix, Jésus insulté, le Dernier de la Veuve, etc., et une foule d'Anges ont déjà attiré à leur auteur des compliments très bien mérités. À ces hommages, je me permettrai de joindre ma faible voix et d'offrir à M. le peintre-artiste Rousseau mes plus vives félicitations pour l'ordre suivi non seulement dans l'ensemble, mais même dans les plus petits détails.(...) La grande toile ornant le vaste cintre formé par l'arc de la grande
voûte sur la partie murale du devant de la chapelle peut-être
considérée comme la prédication d'une savante et
touchante du sacrifice du Sauveur. Ce magnifique sermon peint est divisé
en trois parties. Voulez-vous lire les panégyriques de la Sainte Vierge et de Saint Joseph? L'artiste en a tracé un inimitable dans chacune des voûtes latérales. Les parties murales entre les fenêtres ont été ornées de tableaux représentant les saints et les saintes les plus en honneur dans cette pieuse communauté du Précieux-Sang. Ces tableaux sont de la révérende Soeur Véronique, de ce monastère. Cette bonne Soeur a imprimé à ses oeuvres, je ne dirai pas la vigueur et la correction de dessin des meilleures oeuvres de M. Rousseau, mais avec délicatesse, la légèreté des touches et le poli du blaireau joints à des harmonies de nuances vraiment remarquables. En un mot, la beauté des décors, le choix judicieux des inscriptions, la variété des emblèmes et surtout des beaux tableaux qui enrichissent cette chapelle feront longtemps l'admiration des connaisseurs et seront toujours une source d'inspirations pour nos peintres religieux. Telle est la chapelle du Précieux-Sang. Les bienfaiteurs et tout Saint-Hyacinthe peuvent être fiers d'une oeuvre d'art d'une telle valeur. Voilà aussi où en est rendu M. J.-T. Rousseau, à l'âge de trente-cinq ans seulement. »(1) La seconde critique, plus exhaustive et tout aussi flatteuse, se permet d'énumérer les toiles de l'abside et de la voûte et d'en donner une courte appréciation à chacune, trouvant particulièrement « Le Christ écrasé sous sa croix » comme le chef-d'oeuvre de la chapelle et "Le Crucifiement" comme un sujet traité remarquablement. Il ajoute également : « Que vos aimables lecteurs, qui auront l'avantage de visiter ce sanctuaire ne se laissent point prévenir par l'humble apparence de l'extérieur de cette chapelle. C'est une véritable boîte à surprise, un rude caillou rempli d'or. Tel a été le jugement que j'ai porté instantanément en me trouvant tout à coup en présence de tant de beautés. Quelles grandes idées dans cette décoration religieuse! Quelle harmonie dans les tons et comme tous les détails concourent bien au même but. »(2) Jean-Noël Dion |
Joseph-Thomas
Rousseau, peintre-décorateur
La Société d'histoire présente aujourd'hui à ses lecteurs le premier d'une série de quinze articles, écrits par M. Jean-Noël Dion et qui relatent la carrière de Joseph-Thomas Rousseau. Ce peintre-décorateur, peu connu aujourd'hui, aurait habité à Saint-Hugues et à Saint-Hyacinthe durant une quinzaine d'année environ, soit de 1875 à 1891, avant son départ pour les États-Unis. Il nous surprend par les oeuvres nombreuses et parfois considérables qu'il a accomplies dans les églises et couvents de notre région et aussi ailleurs dans la province. Claire Lachance, présidente La présente chronique a pour but de poursuivre l'étude entreprise, il y a quelque temps au sujet des peintres-décorateurs qui ont réalisé de nombreux travaux dans les églises de la région de Saint-Hyacinthe et dont l'art s'avère pratiquement ignoré et inconnu du public. C'est aussi pour combler une lacune, en même temps que pour prendre connaissance des hommes qui exerçaient ce métier particulier à une certaine époque, que s'inscrit cette simple recherche. Nous avons déjà mentionné qu'il existait bon nombre de peintres-décorateurs au XIXe siècle et au début du XXe siècle. Il va sans dire que la peinture religieuse demeurait pratiquement le seul débouché pour les peintres au cours de cette période et que, sans les fabriques et le clergé qui pouvaient avancer quelques deniers, ceux-ci n'auraient sans doute pas pu survivre au Québec où l'art faisait vraiment figure de pauvre et ne se développait que d'une façon fragmentaire, sans politique pour le promulguer et le soutenir. Quelques peintres québécois, par ténacité ou par le talent, réussirent à se faire connaître ou à s'imposer dans le milieu, tels: Plamondon et Hamel, Charles Huot, Napoléon Bourassa, Adolphe Rho dans la région de Nicolet, Ozias Leduc de Saint-Hilaire sont les plus connus. Ils travaillèrent à l'élaborer un art religieux qui pouvait à plusieurs égards manquer d'originalité mais qui chez certains atteignait la nouveauté, la rigueur et la profondeur. Dans ce milieu aussi, où la plupart des peintres-décorateurs
étaient étrangers, italiens surtout: Pierrovi qui promulgua
le style européen par sa décoration à l'église
Notre-Dame à Montréal, Galigardi au Gésu, et plus
tard Cappelo, dans la même ligne, à Napierville et à
l'église de Laprairie; il faut reconnaître la persévérance
et l'apport des peintres québécois trop souvent occultés.
Le peintre dont il s'agira au cours de cette étude fut un de ceux-là
à avoir justement vécu cette époque où il
fallait lutter pour obtenir un contrat, même s'il s'agissait le
plus souvent d'être soumis à la tradition et à un
certain goût pictural est né à Saint-Isidore dans la Beauce, le 9 août 1852. Il est le fils de Louis Rousseau, marchand aisé du village qui deviendra plus tard agriculteur, et de Luce Huard. Il fait ses études primaires aux écoles de l'endroit, puis est inscrit à une institution privée. Il démontre assez tôt un goût prononcé pour le dessin et la peinture, mais ses parents, connaissant bien les obstacles qui peuvent survenir et qu'il peut rencontrer en ce domaine, essaient de le dissuader en lui proposant de ne pas adopter l'art comme profession. Le jeune homme prend cependant le dernier parti d'insister, sentant déjà qu'il pouvait entreprendre une carrière en ce sens. Il se dirige donc vers Montréal où il s'inscrit pour trois ans aux cours de dessin de M. Raveau (1828-1896). Damase Raveau, né à Épernay en France, avait émigré au Canada et était devenu professeur à l'école normale Jacques-Cartier où à Napoléon Bourassa avait inauguré un cours de dessin en 1861. Mais le passage à cette école ne dut vraisemblablement pas lui être suffisant pour apprendre tous les rudiments et les techniques de la décoration murale puisqu'il n'y avait pas de cours à l'époque au Québec, destinés à former des peintres décorateurs. On peut supposer alors, selon la coutume du temps, qu'il aurait été l'apprenti de quelques autres peintres ou artisans. C'est ainsi qu'il s'initia au métier et qu'il pourra plus tard se faire connaître en l'espace de quelques années. Il épouse, le 2 mai 1875, Hermine Gendron de Sainte-Rosalie, fille
de Jacques Gendron, marchand du lieu. Ils auront cinq enfants dont François-Adélard,
Mastaï, Fabius et Maria. Il faut supposer qu'il s'installe alors
dans le secteur, à Saint-Hugues possiblement puisque quatre ans
plus tard, lors du contrat qui le lie avec la fabrique de Sainte-Rosalie
pour l'exécution de deux tableaux, il est indiqué «
oeuvres de Joseph Rousseau, peintre de Saint-Hugues » (1). Aussi,
en regard des renseignements trouvés à son sujet, la période
où il commence sa carrière se situe entre 1880-1881 où
il exécute quelques décorations mineures: Saint-Hugues 1880,
Saint-Antoine 1880, Saint-Denis 1881. On donne une courte biographie de Rousseau dans: A Cyclopedia of Canadian
Biography, Geo. Maclean Rose, Rose publishing Company, Toronto, Vol. II,
1888, p. 518. Early Painters and Engravers in Canada, J. Russell Harper,
University of Toronto Press, 1970. P. 273. (1) J.-O. Archambault,
Histoire de Sainte-Rosalie, Société d'Histoire régionale
de Saint-Hyacinthe, 1939, p. 85. |
Chapelle du Précieux-Sang
à Saint-Hyacinthe (Premier groupe : 1 à 5 , toiles
de J.T. Rousseau) + (toiles de S.Véronique a.p.s.,
de 6 à 8) 9-10) Autels latéraux (enlevés) : ( Aujourd’hui, on y voit : le Tabernacle -9 et la statue de la Vierge -10 ) La voûte (+ Les toiles de 11 à 25 :par J.Thomas Rousseau) |
Murs de la nef gauche (Les toiles de 26 à 31 : par S. Véronique)
33)( La Sainte Famille :par Sœur Marie-Réparatrice) 32-34) Les escaliers accédant au jubé; (+ Les toiles de 35 à 41 : par Sœur Véronique) |
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